Supervision

Superviseur, supervision et résonances

1 – Qu’est-ce que la supervision

La supervision est avant tout une rencontre. Une rencontre entre deux personnes (superviseur – supervisé), ou un groupe de personnes et un superviseur. Pour ma part, elle peut exister grâce à une demande spécifique du supervisé autour des questionnements professionnels. La supervision vise à sortir du quotidien du travail pour se consacrer un moment de réflexion. Elle permet de se poser et de retrouver du sens à sa pratique. Joseph Rouzel dit « Dans la supervision, il s’agit bien de favoriser un déplacement, des prises d’air, voir des prises d’être pour les praticiens du social. ». En clair, la supervision favorise des changements et peut élever au stade du conscient les actes de nos pratiques.

La supervision est un moment centré sur la parole et l’écoute. Elle extrait le professionnel de ce qui l’affecte pour l’engager vers le chemin du savoir. L’Association Romande des Superviseurs la définit comme suit « La supervision prend du sens lorsque le supervisé développe ses interventions professionnelles, renforce sa conscience de lui-même, de ses actes, de ses responsabilités, de son engagement, de sa volonté de coopérer et de sa capacité à créer des liens interpersonnels.». Je remarque dans cette définition que la supervision permet un développement du supervisé. Il y a, également, l’approche de la prise de conscience de soi et la recherche du sens dans sa propre pratique professionnelle.

La supervision est un espace où un supervisé réfléchit sur le travail qu’il entreprend avec des usagers, de sa collaboration avec l’équipe et de son rapport à l’institution. Elle vise à améliorer la qualité des interventions sur le terrain. Elle représente un outil de travail important dans l’aide que peuvent amener les professionnels aux différentes populations qu’ils rencontrent. A cet effet, la supervision demande un engagement et une présence participative du supervisé. La supervision permet une prise de distance par rapport aux vécus sur le terrain. Grâce à la parole, le supervisé peut se détacher des situations émotionnelles et peut retrouver du sens à ses actions. Le but de la supervision est le maintient à vif d’un appareil à penser et à inventer.

La définition de la supervision n’est pas exhaustive en elle-même. C’est à cet effet, que je souhaite exposer le processus en supervision et comment il peut mener vers des déplacements de pensée, qui ouvre des possibles et qui est à la recherche du sens ainsi que de la prise de conscience. Je traiterai de cette question avant de conclure ce travail. Pour l’instant, situons les résonances en systémique ainsi que le transfert et contre-transfert en psychanalyse.  

2 – Les résonances en systémique et le Transfert et Contre-transfert en psychanalyse

L’approche de la systémique comme celle de la psychanalyse ont en commun de travailler autour de la relation d’aide et intègrent toutes les deux l’intervenant dans leur mode d’intervention. Dans ce chapitre, on va voir de plus près, les résonances dans l’approche systémique et le transfert et contre-transfert en psychanalyse.

La systémique est définie comme un ensemble d’éléments en interaction tels  qu’une  modification quelconque de l’un deux entraîne  une modification de tous  les  autres.

En systémique, la personne n’est pas le seul élément « analysé » dans la démarche. L’intervenant accorde une place importante aux différents systèmes dans lequel évolue la personne. Dans cette démarche, l’intervenant observe et s’intéresse au niveau de remise en question, à l’engagement dans un système, à la flexibilité de la personne ainsi qu’à son degré d’adaptation ; cela d’une part.

D’autre part, la résonance dans la systémique est la mise en pratique de ce que peut amener le superviseur dans la supervision. En effet, comme on va le voir dans la définition des résonances, dans la seconde cybernétique l’intervenant, donc le superviseur fait partie intégrante du système de supervision. Ces résonances sont à prendre en considération. Il peut les verbaliser en supervision. En les nommant, il peut créer des interactions. Il peut également, s’interroger sur le comment et le pourquoi de leurs émergences. Ainsi, il s’enrichi lui-même de la connaissance de sa propre personne d’abord, avant de poser des questionnements qui ouvrent des pistes de travail.  

Pour ma part, j’ai constaté qu’il y a une démarche claire à entreprendre quand on repère qu’il y a des résonances en supervision :

  • L’observation du contexte (système) par le superviseur sous différents angles ;
  • l’analyse des interactions; 
  • tenter de formuler des hypothèses pour donner une explication en tenant compte des éléments issus de l’évolution du contexte (système);
  • confrontation à la réalité (expérimentation) pour obtenir une explication (consensus).

Une telle démarche doit être, à mon sens, à la fois prudente et ambitieuse :

  • la prudence consiste à veiller à ne pas partir des idées préconstruites mais s’appuyer sur des faits qui se déroulent en supervision ;
  • ambitieuse parce qu’elle recherche la meilleure appréhension possible des situations. Elle ne se contente pas d’approximations. Elle vise à comprendre et à enrichir la connaissance.

Le transfert et le contre-transfert sont des concepts tirés de la psychanalyse qu’il me semble opportun d’aborder parce que je vois des parallèles entre eux et le concept des résonances en systémique. En effet, tous les deux tiennent compte de la présence de l’intervenant dans la relation d’aide. De surcroit, parler du transfert et du contre-transfert dans ce travail de recherche représente pour moi une continuité réflexive et une mise en lien entre mon identité de travailleur social basée sur des fondements psychanalytiques et ma nouvelle identité de superviseur enrichie à la découverte des concepts systémiques.

Cette approche, fait beaucoup appel au concept de l’inconscient. Les difficultés présentes sont conçues comme ayant leurs origines dans les conflits irrésolus de l’enfance. La méthode analytique classique consiste à interpréter le discours (où la libre association est importante) et les fonctionnements actuels (transfert) pour élucider les conflits non résolus.

La psychanalyse postule que l’individu n’assume consciemment qu’une partie de ce qu’il dit et de ce qu’il croit être, que ce qu’il dit en vérité lui échappe autant que la vérité de son être. C’est du fait de cette dissociation fondamentale que l’homme est habité par des conflits tant dans son esprit que dans son corps.

La psychanalyse présente une méthode d’investigation de la vie psychique. Elle sert à « démasquer » l’inconscient. Fondamentalement, la psychanalyse amène le sujet à faire l’expérience de son inconscient et de ce fait, révèle l’ensemble de ses rapports à lui-même et aux autres. Dans cette quête, des inhibitions et des angoisses peuvent tomber.

L’intervenant doit pouvoir faire la différence entre ce qu’il apporte dans une relation et ce qui vient plutôt du patient. Le patient lui-même nous perçoit en fonction de ses expériences antérieures. C’est ce que la psychanalyse nomme le transfert.

Le contre-transfert concerne en premier lieu l’analyste. C’est ce qu’il renvoie à l’autre dans la psychanalyse et ce en fonction de ce que transfert l’analysé sur lui. Je développerai ce point en profondeur dans un chapitre réservé à cet effet. Notons seulement que l’approche systémique s’appuie sur la notion « présent-futur » en fonction des éléments issus du passé. Tandis que l’approche psychanalytique s’appuie sur le « passé-présent » en visant le futur. Toutefois notons également, que toutes les deux renvoient aux enjeux relationnels qui existent dans une relation d’aide.

3 – Qu’est-ce que les résonances

A présent, je vais définir les résonances. C’est un concept assez récent amené par Mony Elkaïm. On a vu dans l’introduction qu’il utilise le terme « résonances » pour désigner cette situation où ce que nous vivons à une utilité pour l’autre. Les résonances sont un mouvement vibratoire qui se déclenche à l’intérieur de soi lorsque l’autre me parle. Elles prennent en compte l’émergence du vécu, des sentiments dans un contexte d’intervention : il s’agit-là d’un contexte de supervision. Mony Elkaïm définit les résonances comme des assemblages particuliers qui se constituent par l’intersection des éléments communs à des individus ou à différents systèmes humains. Ces assemblages sont suscités par les constructions mutuelles des membres du système.

Les résonances se construisent dans une rencontre relationnelle. Nos réactions sont liées à notre propre histoire, il y a des éléments du contexte relationnel qui les font émerger à certains moments précis. Dans un contexte de supervision, des regards extérieurs peuvent les qualifier d’inadéquates ou de subjectives. Toutefois, d’après Mony Elkaïm, l’objectif est à un autre niveau. Il affirme que les sentiments qui émergents ont un sens par rapport au système même où ils émergent. Ils vont constituer des ponts spécifiques dans le système qui méritent d’être explorés méthodiquement. Je traiterai plus en détail de l’objectivité des résonances dans un autre chapitre.

Pour définir les résonances, il faut les situer dans leur contexte historique, dans ce paragraphe je vais distinguer la première de la deuxième cybernétique. La première cybernétique situe le thérapeute en dehors du système dans lequel il évolue. Quant à la deuxième cybernétique elle le place à l’intérieur du système. La deuxième cybernétique souligne le fait que l’observateur n’est pas étranger au phénomène observé. Ce système crée des déséquilibres qui sont porteurs de changements. L’intervenant ne peut se limiter à décrire une réalité à laquelle il participe. Il intervient, il y a donc des interactions avec le sujet observé. A l’aide de ses interventions et de ses interractions, on peut parler donc de co-cheminement. Mony Elkaïm utilise le terme d’assemblage. Dans cette deuxième cybernétique on considère que travailler avec quelqu’un pour qu’il puisse s’aider lui-même s’appuie sur une co-construction : il s’agit donc de construire ensemble une réalité différente dans laquelle les supervisés seront moins dépendants du superviseur ainsi que du système dans lequel ils évoluent. On remarque donc, que dès l’instant où il y a présence d’un superviseur à côté d’un supervisé cela provoque déjà des interactions et des déplacements.

La seconde cybernétique centrée sur le thérapeute ainsi que les différents membres du système, peuvent induire des mouvements conséquents dans la supervision. En effet, la prise en considération de tous les membres du système favorisera des intéractions dans un premier temps. Dans un second temps, il y aurait des processus qui seront des facteurs de changement. Pour étayer ces propos je cite Michel Maester 1 dans un article qui dit « Le processus thérapeutique est actif lorsqu’il y a résonance entre le système de la famille et celui du thérapeute devenant progressivement facteur de résilience pour les patients dans le maillage des émotions tissées de chaque côté de celui-ci »2. Comme je l’ai dit plus haut, je ne peux pas parler de résilience en supervision, toutefois, je peux rejoindre M. Maestre en disant qu’un processus de supervision (la réflexion) est actif lorsqu’il y a résonance entre le superviseur et le supervisé devenant progressivement facteur de changement et d’évolution.

Pour faciliter la compréhension de ce travail, je désire expliquer la notion de « renforcer les croyances de l’autre » qu’utilise Mony Elkaïm en lien avec les résonances. En effet, le superviseur peut avoir une résonance qui peut l’aider à émettre des hypothèses de travail en se posant par exemple, la question de l’utilité de cette résonance? Toutefois, si le superviseur ne sent pas suffisamment de flexibilité et d’adaptation chez le supervisé, il peut reporter ses questions pour plus tard dans le processus de supervision. Il va ainsi, momentanément, renforcer le supervisé dans ses croyances pour ne pas le « bousculer ». Aussi, il aura construit plus de confiance qui va lui permettre petit-à-petit un meilleur lien qui favorisera, à son tour le changement.    

Avant de conclure ce point, je rajoute le point suivant sur le travail sur soi. Je rejoins et adhère aux propos de Nicole Genton « Le travail avec les résonances implique, de la part du thérapeute, une bonne connaissance de lui-même et de sa famille d’origine, et de la rigueur dans leur utilisation dans le travail avec les familles, comme levier à l’évolution et à la co-construction des deux systèmes en interraction. »3. En effet, à mon sens, un superviseur doit mener un travail sur lui-même. Il doit bien se connaître et être en paix avec son passé. Autrement, les résonances peuvent entraîner des états d’âme malaisés d’où il serait difficile de s’en sortir émotionnellement.

4 – Les fonctions des résonances dans un processus de supervision

4.1 – Enrichissement de la connaissance de soi

Le superviseur qui s’interroge sur ces propres résonances (à quelle situation de sa vie elles le renvoient ? Qu’est ce qu’elles lui font vivre ? Pourquoi il les a éprouvées à ce moment-là) adopte à travers ce questionnement une posture d’introspection. Il est en réflexion sur son propre vécu. Cette attitude d’analyse permet et favorise d’avantage la connaissance de soi. Cette dernière peut amener le superviseur à être plus clairvoyant dans ses interventions. Il pourra mieux aider le supervisé dans son cheminement.

4.2 – Les interactions

Les différentes interactions qui existent dans les systèmes humains favorisent des déplacements de pensée, de l’évolution ou quelques fois des régressions. Dans un contexte de supervision prendre en considération ce postulat est déjà un point central dans la rencontre. Les résonances qu’un superviseur ou qu’un supervisé peuvent verbaliser induiront des éléments pour des amplifications ou des modifications des comportements.

4.3 – Les résonances comme mouvement vers le changement

Pour développer ce chapitre, je vais m’appuyer sur les thèses de Mony Elkaïm qu’il a exposées lors d’une conférence en octobre 2008 à Bruxelles. En effet, il soutien que les résonances sont des assemblages qui se construisent dans les rapports entre individus. Il ajoute également que les émotions éprouvées peuvent se transformer en atout dans la relation. Il précise que les résonances ont leurs utilités et des fonctions dans le système où nous évoluons. Au cours de cette conférence, Mony Elkaïm dit quand une résonance émerge, il faut vérifier sa fonction en trois points :

  • à quoi cette résonance renvoie le thérapeute (le superviseur) ?
  • est-ce que c’est quelque chose qui renforce les croyances de l’autre ?
  • qu’elle est l’utilité de cette résonance dans la relation ?

Se poser ses trois questions quand une résonance émerge est, à mon sens, pertinent. En effet, si on parle des résonances en termes de relation d’aide à quoi elles servent dans la supervision ? Quel sont les sens ? Que peuvent-elles apporter au supervisé et à la supervision ? Travailler avec les résonances suppose d’emblée, pour ma part, un mouvement, des déplacements et une mobilisation de la réflexion.

Je vais citer un exemple pour illustrer ce point.

Lors d’une supervision un supervisé (stagiaire en études sociales) m’a fait la remarque que j’intervenais beaucoup et que cela l’empêchait de s’exprimer. Cela m’a un peu irrité, cependant nous avons poursuivit la supervision. Je me suis posé la question du pourquoi de cette irritation, les jours d’après. Je me suis demandé quelle était l’utilité pour le supervisé de me sentir irrité ? A quoi cela sert dans la relation ? J’ai posé l’hypothèse que le supervisé aurait des difficultés à prendre sa place au sein de l’équipe. A la séance suivante, je lui ai posé la question : « comment vous-vivez votre place dans l’équipe » ? Il m’a alors répondu qu’il cherchait encore à trouver sa place dans l’équipe et que celle-ci ne la lui accordait pas facilement.

En poussant à l’irritation, ce supervisé voulait peut-être renforcer ses croyances et ne pas « ôter son armure ». Mon hypothèse s’est révélée « exploitable » : prendre une place dans une équipe ou au sein d’un système était difficile pour lui, il n’y arrivait pas facilement. Nous avons travaillé alors autour de la place au sein d’une équipe éducative. J’ai contribué à le rendre attentif à ce point dans un premier temps. Dans un second temps nous avons travaillé autour du fait qu’il fût également responsable de « construire sa propre place » dans les groupes. « Ce qui est intéressant, c’est que, quel que soit l’aspect personnel qui me rende sensible à un élément, cet aspect personnel est nécessaire mais pas suffisant. Il faut encore que ce vécu ait une fonction dans la relation qui va se créer. C’est pourquoi, quand nous sommes dans une relation de psychothérapie ou de relation d’aide et que nous vivons quelque chose qui nous sort de notre neutralité bienveillante, il me semble important de nous demander, non seulement à quoi cela nous renvoie, mais également quelle est l’utilité pour les croyances profondes de l’autre que nous vivions cela. »4

 Ce questionnement qu’opère en lui le superviseur cultive un terrain fertile pour faire émerger des facteurs d’évolutions pour le supervisé.

4.4 – Le maintien des croyances

 On a vu dans le chapitre lié à la définition des résonances comment le superviseur peut maintenir les croyances du supervisé. Cela peut créer plus de confiance dans le travail de la supervision. Si je me réfère à l’exemple que je cite plus haut, je pouvais agir d’une autre façon dans le but de renforcer le supervisé dans ses croyances pour pouvoir créer une plus grande confiance dans le processus de supervision. Cela n’aurait pas empêché le fait que je revienne sur la question quelques séances plus tard, une fois la confiance installée et solidifiée. L’intérêt dans ma pratique est de repérer les résonances et de savoir dans quel but je vais travailler en m’appuyant sur elles.

4.5 – Hypothétisation

« … La résonance permet donc, dans un contexte postmoderne où sujet et objet sont indissociables, de penser à la fois cette inséparabilité, que subsume le concept de système thérapeutique, et d’offrir au thérapeute un contexte rigoureux d’hypothétisation et d’intervention »5Mony Elkaïm énumère une autre fonction : travailler avec les résonances permet un contexte où on peut poser plus d’hypothèses dans les interventions.

En effet, s’interroger sur ses propres résonances implique résonner en termes d’hypothèses. En ayant une résonance, le superviseur peut l’interpréter et la comprendre sous une multitude d’angles. On a vu que la résonance était un mouvement vibratoire entre individus. Après avoir formulé les questions que préconisent Mony Elkaïm, il est nécessaire de remettre sa propre résonance « au travail » en vue d’inviter le supervisé à la réflexion et à la pensée. Le superviseur peut alors formuler une grande variété d’hypothèses. L’avantage de cette grande hypothétisation est que si le supervisé adhère à l’une d’entre elle, cela voudra dire qu’il y a une accroche pour démarrer un processus de travail.

Dans un autre point de la conférence autour de la fonction des résonances, M. Elkaïm attire notre attention sur notre vécu ainsi que l’état du moment dans lequel se trouve l’intervenant. En effet, les résonances peuvent s’amplifier ou pas du tout. Il dit qu’il est vrai que notre propre histoire nous sensibilise sur ce que nous pouvons vivre avec l’autre. Notre vécu peut agir sur ce que nous vivons dans l’instant présent dans la relation. Toutefois notre comportement n’est pas seulement le produit de notre passé, il s’articule également avec le présent de la situation. C’est-à-dire qu’en supervision il peut y avoir des résonances, d’une part. D’autre part, l’état du moment (fatigue, stress ou bien être) du supervisé et du superviseur peut déterminer et induire des résonances différentes. Les résonances émergent dans des moments précis et pas de façon anodine. Cependant le superviseur doit les articuler avec le présent de la situation. Il en va de même pour le supervisé mais à un autre niveau, s’il éprouve des résonances qui ont émergé, il serait intéressant de le questionner sur l’état dans lequel il se trouve.

            Il y a un autre point qui me semble important d’aborder dans ce chapitre sur les fonctions des résonances. Il s’agit de la flexibilité du cadre et du groupe de supervision, j’entends par là, le système de supervision. Travailler avec les résonances suppose avoir en face de soi un supervisé qui soit ouvert aux changements et aux déplacements des pensées. La flexibilité au sein d’un groupe est importante pour le « construire ensemble ». En effet, les expériences des uns et des autres peuvent favoriser le dépassement des expériences douloureuses. La souplesse du cadre que doit poser le superviseur doit être, à mon sens, suffisamment large pour favoriser les échanges des résonances. « D’une certaine manière notre résilience [ouverture aux changements et des possibles dans le cadre d’une supervision] est liée, pour moi, en grande partie à la capacité des systèmes humains auxquels nous appartenons de nous aider à ne pas être obligés de rester dans la répétition et le renforcement de notre croyance profonde… »1.

            Pour conclure ce chapitre des fonctions des résonances, je déduis les choses suivantes : les fonctions des résonances offrent au superviseur des avantages multiples dans le cadre de ses interventions. Elles permettent une plus grande connaissance de soi ce qui est aidant pour intervenir avec clairvoyance. Elles favorisent des changements et ouvrent sur une plus grande hypothétisation. Les résonances permettent plus d’échanges. Elles ouvrent des choix au superviseur en voulant maintenir le supervisé dans ses croyances ou questionner d’avantage pour avancer et ouvrir des possible. Toutefois pour qu’elles soient efficientes (en termes de développement réflexif qui favorise des déplacements, il faut qu’il y ait un cadre flexible.  

   5 – Objectivité et résonances

La critique que reçoit Mony Elkaïm par rapport aux concepts des résonances de la part des professionnels de la relation est que les résonances ne sont jamais objectives. En effet, est-ce que mes interventions qui sont liées à mes résonances sont objectives ? Est-ce que je n’induis pas quelque chose de mon vécu dans le processus de la supervision ? Est-ce que je ne dirige pas le supervisé vers quelque chose où il ne veut pas aller ? Aussi, il est difficile de séparer ce que je suis de ce que je vois.             

Dans les théories systémiques, Paul Watzlawick2 s’est intéressé à la question de « qu’est-ce que nous faisons ensemble maintenant ? ». Si on remet cette question dans le contexte des résonances on peut déduire qu’elle permet au superviseur d’accepter de constater qu’il n’est pas séparable de ce qu’il vit. Il peut ainsi émettre des hypothèses, les vérifier et intervenir.

Mony Elkaïm décrit dans son ouvrage « Entre résilience et résonance » la fonction de la résonance dans la relation d’aide. Il préconise la vérification de l’utilité de la résonance pour l’autre. Est-ce quelque chose qui renforce une croyance profonde ou qui aide à maintenir des mécanismes de défense pour ne pas oser le changement ? Il ajoute qu’à chaque fois que le thérapeute ressent qu’il sort de sa neutralité, il semble important de se demander à quoi cela le renvoie mais également qu’elle est son utilité dans la relation.

 Il ajoute dans un article « lorsque le thérapeute rencontre un système, il a affaire à la redoutable capacité de ce système à infecter émotionnellement ceux qui l’approchent, à l’intégrer dans son mode propre de fonctionnement. S’agit-il là d’un obstacle, le thérapeute devant alors tenter de se purifier afin de rester neutre ? Ou bien ne peut-on pas supposer au contraire que le système ne puisse être modifié ? »3. Le système que nous rencontrons pourrait donc nous « infecter » émotionnellement. Il pourrait, également nous intégrer dans son fonctionnement pour qu’on en devienne membre et qu’on ne repère plus ce qui s’y déroule. Quand Mony Elkaïm parle de purification, est-ce que moi, intervenant (superviseur), je dois laisser toutes mes émotions, mes représentations, mes sentiments, enfin tout ce qui me constitue, en marge d’une rencontre pour pouvoir intervenir et essayer d’ouvrir des possibles ? A mon avis : non. 

Un autre article de l’Institut de Documentation de Ressources et d’Etudes Systémiques (IDRES) dit : « Ce qui peut aider à grandir et à dépasser les blocages, c’est quand l’autre ne répète pas le comportement. La personne, le système, doit trouver d’autres manières de communiquer, de fonctionner. Quand le thérapeute, l’équipe, ou l’institution répètent les règles du système, les personnes n’ont pas besoin « d’enlever leurs armures ». Il faut donc arriver pour le thérapeute, à faire partie du système, tout en observant ses règles, sans les rejouer, ou du moins en être conscient. »4. Ces propos illustrent, à mon sens, la nécessité pour un superviseur d’entrer dans un système et de ne pas répéter les comportements qu’il y trouve ; ne pas adopter les mêmes attitudes ; ne pas répondre aux réactions de façon similaire. Si le superviseur répétait les règles du système, il ne favoriserait pas le changement. Cela me porte à penser que le superviseur doit s’interroger sur ses propres résonances et les articuler avec les éléments du système pour pouvoir cheminer et co-construire.  

Lors des premières supervisions que j’ai pu effectuer en formation en présence de la formatrice, j’ai voulu m’exercer à travailler avec mes résonances. Etant novice dans la pratique de la supervision, j’ai dû confondre résonance et projection et quelques fois résonance et empathie. Certaines fois, cela a provoqué des adhésions et rebondissements favorables pour la supervision ainsi que pour le supervisé. D’autres fois, le supervisé s’est comme braqué ou ne comprenait pas le sens de mes paroles et de mes interventions. J’ai essayé de comprendre ce phénomène et j’ai déduit deux choses :

  • travailler avec ses résonances suppose parler en je ;
  • travailler avec ses résonances suppose un savoir faire : je veux dire proposer des pistes de travail et formuler les questions avec des propos adéquats.

Si j’avais dit à mon supervisé (cf. exemple cité plus haut) qu’il induisait de l’irritation chez moi en me reprochant d’intervenir ou qu’il avait des difficultés à s’imposer, il se serait sans doute soit confiné dans un mutisme, soit aurait rejeté en bloque mon hypothèse.  

Pour revenir à l’objectivité en supervision, à mon sens, il y a toujours une part de subjectivité dans la relation. Il me semble sage de l’accueillir avec humilité. Il faut l’assumer et composer avec elle. On ne peut pas poser notre propre histoire d’un côté et exercer la fonction de superviseur de l’autre. L’important est de repérer les enjeux et de les articuler avec le présent en formulant des hypothèses.

J’aime bien la notion de cheminer par tâtonnement en supervision. Si une hypothèse semble fausse, il faut en formuler une autre. Il faut avancer avec la méthodologie « d’apprentissage » par essai-erreur. Il n’y pas de faute grave si le supervisé n’adhère pas à une hypothèse. L’essentiel en supervision c’est de rendre conscient le supervisé des choses, des événements, des concepts et de articuler avec son cheminement.

            « On ne cherche pas ici à connaître la réalité, mais à mieux comprendre comment les modèles se construisent et de quelle manière ils peuvent servir à atteindre des finalités pragmatiques. »5 L’important donc n’est pas de savoir si les résonances sont objectives. Il s’agit là de comprendre comment elles peuvent être utiles pour atteindre des objectifs clairs.

6 – Le transfert et le contre-transfert

De prime à bord quand on parle de transfert et de contre-transfert on peut s’interroger sur qu’est ce qu’on transfert ? Qu’est ce qu’on mute ? Qu’est ce qu’on déplace ? En effet, il s’agit de phénomènes qui se déplacent. Comme dans les résonances, on retrouve donc cette idée de mouvement des phénomènes du supervisé vers le superviseur et inversement. 

6.1 –  Le transfert

            L’étymologie du mot remonte aux racines indo-européenne : « bher » qui se décline en « pher », en grec, donnant naissance à « pherein » : porter. En latin, c’est la filiation du verbe « ferre » : porter à travers, transporter. Le transfert selon le « Vocabulaire de la psychanalyse » désigne « Le processus par lequel les désirs inconscients s’actualisent sur certains objets dans le cadre d’un certain type de relation établi avec eux et éminemment dans le cadre de la relation analytique. Il s’agit d’une répétition de prototypes infantiles vécue avec un sentiment d’actualité marqué. C’est le plus souvent le transfert dans la cure que les psychanalystes nomment transfert, sans autre qualificatif »6. « S. Freud nous affirme que le transfert existe dans toutes les relations entre individus (amoureuses, thérapeutiques, pédagogiques…) »7. Peut-on le transposer dans le cadre d’une supervision ? A mon sens, toutes proportions gardées, oui car le supervisé vient pour analyser des situations en fonction de sa propre histoire, de ce qu’il est, de ce qu’il perçoit et de ce qu’il vit. Le supervisé pourrait donc rejouer des événements de son vécu avec le superviseur en supervision. 

Si je reprends la définition citée plus haut, il y aurait des désirs inconscients qui s’actualiseraient sur certains faits au moment de la supervision.

Il est intéressant pour le superviseur de prendre conscience de ces phénomènes de transfert. Le transfert en supervision c’est cette transposition des faits et du vécu du supervisé qu’il porte vers le superviseur. Puis-je alors émettre l’hypothèse que le transfert peut induire des résonances ? Je ne répondrai pas à cette question parce que ce n’est pas le thème que je traite. Toutefois, il me semble intéressant de la repérer dans ma pratique de la fonction de superviseur. 

6.2 – Le contre-transfert

Le contre-transfert désigne « l’ensemble des réactions inconscientes de l’analyste à la personne de l’analysé et plus particulièrement au transfert de celui-ci »8C’est donc des réactions inconscientes du superviseur à l’égard du supervisé et du transfert qu’il effectue sur le superviseur.

Cet aspect de « réactions inconscientes », ne conviendrait pas, selon moi, en supervision. Je propose de ne pas en rester à cette définition et d’aller plus loin. En effet, une définition plus large donnée par le Dr Nicolas de Coulon9 dit que le contre-transfert est l’ensemble des réactions conscientes et inconscientes de l’analyste au patient. On remarque que cette définition englobe les réactions conscientes de l’analyste. Il ajoute plus loin que ses réactions sont émotionnellement adéquates et utilisables dans l’immédiat. 

 C’est sans doute à cet effet que Mony Elkaïm différencie le concept des résonances du contre-transfert, par rapport à la définition que donne le « vocabulaire de psychanalyse. En effet il dit « Le contre-transfert est une réaction inconsciente du thérapeute vis-à-vis de son client. Par contre la résonance est la réaction du thérapeute liée au contexte »10.

Dans ma pratique de ma fonction de superviseur, il me semble qu’être conscient de ce qui s’y déroule peut d’avantage aider le supervisé et la supervision en elle-même. Pour développer ce propos je m’appuierai sur des points qu’a développé Collette Chiland dans son ouvrage « L’entretien clinique »11. En effet, pour rendre conscient l’analyste aux phénomènes contre-transférentiels, elle nous parle de trois éléments essentiels : la sérénité, la bienveillance et la haine.

6.2.1  –  La sérénité

Une anxiété peut provenir d’une identification à l’interlocuteur. Elle peut également provenir d’un contre-transfert éveillé par ses paroles. Si l’analysé perçoit de l’inquiétude chez l’analyste, celui-ci va se dire que son cas est grave. Cela va accroître son angoisse et son anxiété. Il y a donc un risque que l’analysé se cloître et ne s’ouvre pas. Il y aura aussi le risque que l’analysé amplifie ses inquiétudes. C. Chiland nous dit que l’analysé a besoin de sentir le clinicien impassible, calme afin de s’identifier à lui. Elle ajoute que si l’analyste ne peut pas maîtriser sa crainte, qu’il aille voir un spécialiste (peut-être intervision) pour voir clair sur les difficultés du cas. Dans son approche autour du contre-transfert, C. Chiland nous met en garde sur la préoccupation excessive d’un rapide résultat qui peut être nocive dans une relation d’aide. Elle peut bloquer l’évolution de l’analysé. Il convient de s’interroger sur ce qu’on veut faire vivre à l’analysé.

6.2.2  – La bienveillance   

Une empathie semble être nécessaire pour percevoir les états psychiques de l’analysé. Cela ne veut pas dire être bon. Cette sympathie bienveillante favorise l’acceptation de l’agressivité de l’analysé et permet d’en percevoir la signification profonde. Cette sympathie bienveillante (comme la nomme l’auteur) permet d’ouvrir ses propres horizons, sa propre pensée. L’analysant peut être en total désaccord avec ce que dit l’analysé. Il convient, alors, de laisser ses propres certitudes, cela ne peut qu’être enrichissant pour l’analysant. C. Chiland, nous dit qu’il est souhaitable que cette attitude provienne d’un désir maîtrisé.

Dans un processus de contre-transfert, une bienveillance surdimensionnée peut conduire l’analysé à se protéger de celle-ci afin de « garder sa dignité ». L’analysé peut, également, régresser et devenir dépendant de l’analysant. Il va perdre ainsi ses possibilités de réflexion personnelles.

6.2.3 – La haine

Il est absolument nécessaire que l’analysant ait bien compris les sentiments de haine qu’il a refoulés. La connaissance de ses propres pulsions agressives aide à l’acceptation des hostilités manifestes et à leur compréhension. L’analysant doit agir dans le calme et avec une fermeté constante.

Ces trois points qui peuvent émaner dans un mouvement contre-transférentiel sont pertinents à prendre en considération quand on utilise les concepts de résonances dans la pratique de la supervision. C’est pour cela qu’on dit que le concept systémique est un concept intégratif. En effet, le superviseur peut être dans l’anxiété, une bienveillance surdimensionnée ou un sentiment de haine. Pour illustrer ce propos, il me semble bien que Mony Elkaïm tient compte du contexte dans lequel émergent les résonances.


1  « Entre résilience et résonance, à l’écoute des émotions » Mony Elkaïm, Boris Cyrulnik, Edit Fabert, P 38.
2  Paul Watzlawick, Psychologuepsychothérapeutepsychanalyste jungien et sociologue, ses travaux ont porté sur la thérapie familiale et la psychothérapie générale. Membre fondateur de l’École de Palo Alto. 1921 – 2007
3  « Systèmes humains et émotions : comment surgit l’émotion », Cahiers critiques de thérapie familiale et de pratiques de réseaux, Autour de l’émotion, n°29, pp35-36, 2002
4  http://www.systemique.be
5  Source internet   Francine Teylouni, lors du congrès international de Paris, CECCOF-CERAS du 4-5-6 octobre 1900,
6  « Vocabulaire de la psychanalyse », Jean Laplanche, Jean-Bertrand Pontalis, Edit PUF Quadridge.
7  « La supervision d’équipes en travail social », Joseh Rouzel, Edit Dunod
8  « Vocabulaire de la psychanalyse », Jean Laplanche, Jean-Bertrand Pontalis, Edit PUF Quadridge.
9  Nicolas de Coulon est psychiatre-psychothérapeute. Il est Président de la Société Suisse de Psychanalyse.
10  Conférence de Mony Elkaïm au Centre de formation de la thérapie familiale le 10.01.2002
11  « L’entretien clinique » Colette Chiland. Edit PUF

DES AXES DE LA SUPERVISION

Nous pouvons envisager la supervision sous plusieurs aspects qui mettent en œuvre le projet du superviseur ; projet qu’il me semble important de qualifier par son caractère délibéré.

Actuellement je conçois trois dimensions qui tiennent en haleine le superviseur :

Visée « thérapeutique »

J’emploie ici ce terme car il ouvre la question : est-ce que la supervision est un moment de thérapie ?

La réponse immédiate, qui nous vient communément, est qu’il est nécessaire de distinguer supervision et thérapie et je dirais que je peux adopter d’emblée un tel point de vue. La supervision a pour projet de questionner la posture du thérapeute et lorsque je vais voir mon superviseur, « j’apporte » un patient, je veux parler « de lui ».

Ceci ne pose pas question si je conçois la relation thérapeutique comme celle d’un thérapeute dépositaire d’un savoir qui va analyser les perturbations d’un patient. Or mes prémisses ne me permettent pas de m’arrêter là… Puisque j’existe thérapeute à l’occasion de cette rencontre avec « mon » patient lui-même coexistant en tant que tel… (Principes de champ).

Et puis, en supervision, le thérapeute parle ici, à son superviseur, de sa façon d’in-former, de donner sens à cette rencontre avec ce patient-là : c’est toujours d’un point de vue particulier et qui échappe en grande partie (une forme : une figure s’éclairant d’un fond se retirant simultanément). De plus, lorsque le thérapeute évoque sa façon de comprendre ce dont il en retourne avec ce patient, il organise son propos selon les représentations qu’il se fait de ce superviseur. Ce superviseur lui-même coexistant à cette occasion… Lorsque je parle, c’est bien de ma façon de me décider pour une forme parmi d’autres possibles ; c’est cela qui survient. Si je poursuis ce raisonnement, alors le superviseur devient thérapeute de la façon de donner et de se donner forme, en tant que thérapeute, dans cette situation là, avec ce superviseur là, et ensuite.

C’est cela qui m’a conduit à dire que, dans ma fonction de superviseur, je vais interpeller la manière dont le thérapeute se donne sens au cours de cette situation de supervision.

Peut-être que ce point de vue m’amène alors à formuler cette hypothèse qu’il y a bien une dimension thérapeutique dans la supervision : en tant que superviseur, je vais être attentive à permettre au thérapeute de prendre conscience de sa façon de tisser son propos et, par là, de s’approprier la forme de sa présence survenant à mon occasion. Je vais l’amener à suspendre ses évidences formelles pour, d’une part les prendre en conscience et, d’autre part, pouvoir s’essayer à d’autres points de vue. Ainsi, je vais être soucieuse de la façon dont ce thérapeute se donne forme à mon occasion, et de ma manière de participer de cette constitution. Je vais être curieuse de cela pour susciter une prise en conscience délibérée de ce pouvoir d’in-former. Il me semble qu’une telle attention a un effet thérapeutique puisqu’elle vise à permettre au thérapeute de reconduire sa créativité c’est-à-dire ses capacités d’ouverture et d’entrée en présence.

La supervision n’est pas un lieu de thérapie pour autant. En effet je vais, en tant que superviseur, garder en vue que mon intervention s’appuie sur la question de ce qui se joue ailleurs, entre ce thérapeute et son patient. Et c’est la relation du thérapeute à son patient qui fonde ma fonction de superviseur : je suis là pour superviser sa pratique professionnelle… Peut-être alors pourrais-je préciser qu’il y a une dimension didactique à la supervision qui n’est pas mobilisée en situation de thérapie.

Me vient là l’histoire « du loup » de Marie Petit (métaphore employée souvent oralement par Marie) : le superviseur met en figure « le loup » qui sera travaillé par le thérapeute dans son espace de thérapie. Ce que j’en comprends, c’est qu’il s’agit de mettre en figure « là où le thérapeute se colle » à la problématique de son patient ; autrement dit, les aspects transférentiels et contre-transférentiels. Si je ne me réfère pas à cette conception psychique comment entendre cette histoire du loup ?

Est-ce que cela revient à faire l’hypothèse de zones de confluence où le thérapeute ne parvient pas à tenir une posture d’altérité ou une posture altérante ? Ou bien celle de projection, ou autre flexion de la Gestaltung, non délibérée de la part du thérapeute ? Du point de vue du self, il s’agira alors de repérer les flexions possibles pour solliciter la survenue en mode ego (celui-ci conçu comme survenant par mise en tension simultanée des modalités ça et personnalité du self).

En tout cas, il semble bien que cette histoire du loup mette en lumière cette difficulté que nous rencontrons tous dans nos rôles de thérapeutes et aussi de superviseur : comment ne pas se clore à la nouveauté augurant la situation ? Question qui me taraude et aussi question problématique puisque existant, je suis toujours déjà intoné, situé et par là orienté. Peut-être conviendrait-il alors d’ajuster ma question qui devient : comment sans cesse reconduire l’étonnement et l’ouverture ?

Peut-être que cela se traduit par le choix de sans cesse reconduire la question du sens/signification et de ne pas perdre de vue qu’une Gestalt est une parmi d’autres possibles, toujours reconduite dans sa tension pathique, par où je m’y éprouve et m’y décide. Le superviseur est bien là alors pour mobiliser cela : pour permettre au thérapeute de ne pas s’arrêter sur un point de vue. Pour reconduire ce point de vue comme un éclairage possible, comme une éclaircie qui invite à tenir compte du fond toujours obscur, fond participant de l’éclaircie, venant en figure et pourtant se retirant. C’est ainsi que j’entends le déploiement du self en mode ça, qui n’apparaît qu’en s’in-formant en possibilités de signification, (déploiement du self en mode personnalité).

Le loup ce serait alors ce que le thérapeute met en œuvre sans que cela ne soit délibéré, pleinement pris en conscience et choisi dans un projet de soutenir et solliciter le pouvoir être « de son patient ».

Un autre aspect que je qualifierais aussi de « thérapeutique », c’est ce souci, qui me semble caractériser le superviseur, d’accompagner le thérapeute dans l’affinage de son style propre, de sa manière d’être Gestalt-thérapeute ; c’est-à-dire d’assimiler et créer à partir des apprentissages dont il bénéficie et a bénéficié. Cette notion du style me semble soutenue par celle du style de présence, de l’authenticité, qui est, à mon avis, une valeur fondamentale dans la pratique de notre profession. L’authenticité, c’est cette humilité de ma venue en présence que je choisis en conscience telle qu’elle se donne à moi et que je lui donne forme.

En même temps, cette notion de style du Gestalt-thérapeute rejoint une dimension pédagogique ou de recherche qui caractérise la supervision.

Visée diagnostique

Le superviseur se tient dans un souci diagnostique, c’est dire qu’il veille à soutenir l’élaboration d’un diagnostic et d’un projet thérapeutique.

Diagnostic nosographique, diagnostic de la manière de donner forme à la situation ? Je dirais bien les deux :

Il me semble bien nécessaire (encore cette catégorie…) que le superviseur soit à même de naviguer et d’avoir une cohérence sur cette question diagnostique.

Il va contribuer à clarifier le diagnostic de la situation, et là, il s’appuie sur la théorie du self. Lorsque je parle de la situation, il s’agit bien de celle qui se déroule et se tisse dans l’instant de la rencontre à l’occasion de laquelle le thérapeute évoque la situation clinique qui le tarabuste. Le superviseur est attentif au « comment » de ce déroulement et c’est cela qu’il va mettre en lumière : attention au déploiement du self en mode ça augurant la situation, qui va consister en cette forme que prendra la rencontre. La dimension pathique me semble essentielle. Pour autant ce qui se tisse là n’est pas compris comme une répétition de ce qui se déroule ailleurs entre le supervisé et son patient : dire cela serait se tenir dans un mode de voir de l’ordre du transfert contre-transfert. Je dirais que ce qui va se dérouler à l’occasion de la supervision, va mobiliser le thérapeute et lui permettre d’enrichir sa façon de comprendre (à la fois au sens affectif d’être pris avec, et au sens d’une élaboration rationnelle) et de soutenir la rencontre altérante ; autrement dit, d’élaborer des formes en mobilisant le déploiement du self.

Le superviseur va également contribuer à permettre au thérapeute d’établir un projet thérapeutique et, dans ce dessein, il dispose là encore de la théorie du self mais pas seulement… Je veux dire par là que, certes, cette théorie est surprenante, et que, plus je la pratique, plus j’y découvre un foisonnement de surprises et de possibilités… Et tout cela avec un minimum de principes figés !

Or, dans ma posture de superviseur, je n’ai pas juste à m’en tenir là : j’ai aussi à pouvoir user d’autres modes de voir et notamment de la nosographie classique, des travaux des psychanalystes et même de la théorie du self conçue dans une perspective dualiste… et surtout de la sémiologie clinique. Cela me permet d’insister sur cet aspect : le superviseur veille à stimuler la pensée et les capacités de réflexion de ses supervisés. Il ne perd pas de vue que ceux-ci travaillent dans un monde social où la vision psychanalytique est prégnante. Il est aussi de son rôle de veiller à ce que les thérapeutes qu’il supervise, aient, peu à peu, un bagage culturel suffisant. D’autre part, la nosographie me semble incontournable, ne serait-ce que pour pouvoir la questionner et l’ajuster mais, surtout, car elle invite le thérapeute à la prudence et le convoque à sa responsabilité. Enfin, la sémiologie clinique m’apparaît comme un soutien pour tenir en haleine l’étonnement du thérapeute et l’inviter à prendre la responsabilité de ses manières de signifier. Pour l’inviter à sans cesse revenir à l’apparaître, en retenant sa hâte à comprendre.

Visée pédagogique

Cette dernière dimension n’est pas de moindre importance à mes yeux. Le superviseur est là pour stimuler, éveiller la curiosité et l’appétit de ses supervisés : leur indiquer des lectures, les solliciter à oser questionner et formuler leurs hypothèses. Il s’agit par là de solliciter cette dimension de formation permanente du thérapeute ; un devenir thérapeute toujours à reconduire et à enrichir.

Cette dimension me semble particulièrement importante lorsque la supervision s’adresse à des thérapeutes débutants : il y a alors là tout un travail pour permettre et faciliter la mastication des apprentissages et même parfois pour aborder des concepts nouveaux.

J’anime plusieurs groupes de Gestalt-thérapeutes. Nous y avons abordé des thèmes comme l’entretien préliminaire et ses modalités possibles ; la théorie du self a fait l’objet de nombreux moments plus pédagogiques et nous avons aussi consacré des moments à définir névrose et psychose par exemple, à évoquer la sémiologie clinique, à enrichir à partir de la psychiatrie phénoménologique.

Cette dimension, que j’ai qualifiée de pédagogique, prend aussi une extension dans la mesure où la supervision me semble un lieu de recherche et d’élaboration essentiel quant à la posture thérapeutique et les principes techniques et théoriques qui la colorent et la fondent.

DE L’ATMOSPHÈRE DE LA SUPERVISION

Je veux là insister sur la dimension affective de la supervision. Lorsque je parlais plus haut de la supervision comme un voir élargi, il s’agissait là alors d’esquisser que le superviseur n’est pas dans une posture de domination… Et que justement même, il doit être attentif à cela… De par cette place qu’il accepte d’occuper, il est souvent imaginé comme un « super thérapeute », un « qui sait ce qui est bien et juste » et ses paroles sont parfois précieusement « notées » ou conservées comme des reliques…

Certes la position de superviseur peut être un excellent marche pied vers la « gouroutisation »… Et du coup des notions, telles que honte et humiliation, se profilent à l’horizon – même si elles n’ont pas besoin d’une telle vision caricaturale pour poindre ! –…

Si le superviseur n’est pas à même de se déprendre de ces voix de sirènes, il est à craindre que sa capacité à tenir cette position de superviseur soit mise à mal…

Ainsi, en tant que superviseur, tout comme aussi en tant que thérapeute, je ne me déprends pas d’une petite phrase qui vient de Winnicott et que je cite déformée et sans pouvoir la resituer dans un de ses écrits car elle me tient compagnie depuis tant d’années… « Tout symptôme est à regarder comme le meilleur compromis du patient pour continuer à exister ». C’est donc dire que toute Gestalt est bien une création et qu’elle est toujours ajustée… À moi de m’ouvrir aux modalités de son ajustement… et non de décréter qu’elle n’est pas ajustée ! Ce qui serait là une façon de me clore à l’ouvert de la rencontre.

Le superviseur est bien celui qui va soutenir la mise en lumière de la justesse de l’intervention du thérapeute. Il va la soutenir pour la conduire à sa fin – à sa pleine effectuation – afin que s’ouvre alors de la nouveauté. Si je m’appuie sur une telle conception, le concept de honte perd son sens… Car ne correspond-il pas à un jugement posé même de façon très subtile par autrui ? Un jugement disqualifiant la modalité de l’autre à exister la situation. Il n’y a honte que là où il y a mépris et posture de domination ; là où le superviseur se trouve en défaut de créativité et d’ouverture à une altérité altérante. Et il me paraît essentiel (encore !) d’être vigilant à cet endroit dans la mesure où personne n’est à l’abri de tels enjeux… d’où aussi l’utilité d’un espace de supervision pour superviseur.