Thérapie familiale

Thérapie familiale en Gestalt-thérapie :
Une approche dynamique et expérientielle

La thérapie familiale abordée sous l’angle de la Gestalt-thérapie, offre une perspective riche et éclairante sur les interactions et les dynamiques au sein du système familial.
Elle l’accent sur l’expérience présente, la conscience, la responsabilité et le contact au sein de la famille. Elle considère la famille non pas comme un ensemble d’individus isolés, mais comme un organisme vivant, un système interdépendant où chaque membre influence et est influencé par les autres. L’objectif n’est pas d’identifier un « coupable » ou une seule cause aux difficultés, mais plutôt d’explorer les processus interactifs qui maintiennent la problématique.

Principes fondamentaux de la Gestalt-thérapie appliqués à la famille : Voir et agir différemment

1. L’Ici et Maintenant (Here and Now) : Observer la Danse Familiale en Direct

C’est un pilier central. Plutôt que de s’attarder longuement sur le passé ou de projeter dans le futur, la thérapie se concentre sur ce qui se passe maintenant dans la séance : les interactions, les émotions exprimées ou non, les schémas de communication qui se manifestent en direct. Le thérapeute observe attentivement comment la famille « fait » la difficulté ici et maintenant.

► Exemple Concret :
Une famille vient consulter pour des conflits fréquents avec leur adolescent. Le thérapeute remarque que chaque fois que le père commence à parler, la mère l’interrompt pour corriger ses propos, et l’adolescent soupire en fixant le plafond. Le thérapeute n’ira pas chercher les causes passées de cette dynamique, mais interviendra sur ce qui se passe maintenant : « Je remarque, Madame X, que vous complétez souvent les phrases de votre mari. Qu’est-ce que cela fait à chacun de vous quand cela arrive ? Et toi, Paul, qu’est-ce que ce soupir signifie pour toi en ce moment ? » L’objectif est de rendre la famille consciente de ce schéma qui se joue en direct et qui est probablement une répétition de leurs interactions à la maison.

2. La Conscience (Awareness) : Mettre en Lumière l’Invisible pour de Nouveaux Choix

L’objectif est d’accroître la conscience des membres de la famille sur leurs propres processus internes (pensées, émotions, sensations corporelles) et sur leurs modes d’interaction. Cela inclut la conscience des besoins non satisfaits, des frontières floues ou rigides, des évitements et des rôles figés. Plus la famille est consciente de son fonctionnement, plus elle a de choix.

► Exemple Concret :
Lors d’une discussion sur le manque de soutien familial pour la mère, celle-ci exprime sa frustration. Le thérapeute observe que les enfants détournent le regard et que le père regarde ses chaussures. Le thérapeute peut alors demander : « Madame X, quand vous exprimez votre frustration, que remarquez-vous chez les autres ? Et vous, les enfants, et vous, Monsieur X, qu’est-ce que vous ressentez ou pensez quand votre mère/épouse dit cela ? Quelles sont vos sensations dans votre corps ? » En invitant chacun à exprimer sa conscience du moment présent, la famille devient consciente des évitements de contact et des émotions non exprimées.

3. Le Contact et l’Ajustement Créateur : Reconnecter et Innover dans la Relation

La Gestalt-thérapie met l’accent sur la qualité du « contact » entre les membres de la famille. Un contact sain est fluide, authentique et permet l’expression des différences tout en maintenant le lien. Lorsque le contact est interrompu, incomplet ou évité, des difficultés surgissent. L’ajustement créateur est la capacité de la famille à s’adapter de manière flexible et nouvelle aux défis, plutôt que de répéter des schémas obsolètes.

► Exemple Concret :
Un enfant, souvent en retrait, ne participe jamais aux discussions familiales importantes. Le thérapeute pourrait proposer une expérimentation de contact : « Je vois que Léa est très silencieuse. Léa, est-ce que tu pourrais te tourner vers ta maman et lui dire ce qui est difficile pour toi en ce moment, si tu arrives à identifier quelque chose ? » Ou encore : « Parents, qu’est-ce qui vous empêcherait de tendre la main à Léa et de l’inviter à parler d’une manière différente ? » L’idée est de créer un contact direct, authentique, et d’expérimenter de nouvelles façons d’entrer en relation, permettant ainsi un ajustement créateur de la dynamique familiale.

4. La Responsabilité : Chaque Pièce Compte et Contribue

Chaque membre de la famille est invité à prendre conscience de sa part de responsabilité dans les dynamiques familiales. Il ne s’agit pas de culpabilité, mais de reconnaître comment ses propres choix et comportements contribuent à l’ensemble. Cette prise de responsabilité ouvre la voie au changement.

► Exemple Concret :
Un père se plaint que sa femme est « toujours sur son dos » concernant les tâches ménagères. Le thérapeute pourrait demander au père : « Quelle est votre part dans cette situation ? Comment contribuez-vous, peut-être involontairement, à ce que votre femme soit ‘sur votre dos’ ? Quelles actions concrètes pourriez-vous entreprendre différemment ? » Puis à la mère : « Et vous, Madame, comment votre façon de demander ou d’exprimer vos besoins peut-elle influencer la réaction de votre mari ? » Cette approche invite chacun à se réapproprier son pouvoir d’agir et de changer.

5. Le Cycle de l’Expérience : Identifier les Blocs et Restaurer le Flux

La Gestalt-thérapie modélise l’expérience comme un cycle continu de besoin, sensation, action, contact, retrait et assimilation. Les difficultés surviennent souvent lorsque ce cycle est interrompu à un certain stade (par exemple, un besoin n’est pas reconnu, une émotion n’est pas exprimée, un contact est évité).

► Exemple Concret :
Une famille où l’expression de la colère est taboue, entraînant des explosions ou des comportements passifs-agressifs. L’adolescent est en crise d’opposition. Le thérapeute aidera la famille à identifier comment la colère est interrompue dans son cycle. Peut-être que le besoin de défendre ses limites (sensation) ne mène jamais à l’expression saine de la colère (action), mais est refoulé (interruption), ce qui se transforme en opposition ou en explosion. Le thérapeute pourrait proposer une expérimentation pour exprimer la colère de manière contenue et sécurisante en séance, pour permettre au cycle de se compléter.

6. Les Frontières : Définir les Espaces Individuels et Communs

Les frontières (ou « boundaries ») sont essentielles dans la Gestalt. Elles définissent qui est qui, ce qui est à l’intérieur et à l’extérieur de la famille, et comment les individus interagissent. Des frontières trop rigides peuvent mener à l’isolement, tandis que des frontières trop diffuses peuvent entraîner une confusion des rôles et une perte d’individualité.

► Exemple Concret :
Des parents qui peinent à laisser leur adolescent prendre des décisions, empiétant constamment sur son autonomie, ou à l’inverse, une famille où chacun vit de manière trop isolée. Si les frontières sont trop perméables (confusion des rôles), le thérapeute peut travailler sur la différenciation : « Qu’est-ce qui vous appartient, et qu’est-ce qui appartient à l’autre ? Comment puis-je respecter votre espace sans vous rejeter ? » Si elles sont trop rigides (isolement), il peut encourager des expérimentations de rapprochement et de partage d’intimité, comme un exercice de regard mutuel sans parler. L’objectif est d’atteindre des frontières flexibles, qui permettent à chacun d’être soi-même tout en étant connecté aux autres.

7. L’Expérimentation : Passer de la Parole à l’Action Vécue

La Gestalt-thérapie est une approche très expérientielle. Le thérapeute ne se contente pas de parler des problèmes, il propose des expérimentations en séance (jeux de rôle, chaises vides, exercices de communication, focalisation sur le corps) pour permettre à la famille de « vivre » de nouvelles façons d’interagir et de ressentir.

► Exemple Concret :
Une mère se plaint de ne pas se sentir entendue par son mari. Plutôt que de simplement discuter du problème, le thérapeute pourrait proposer une expérimentation : « Madame, pourriez-vous vous placer physiquement devant votre mari et lui dire directement, en le regardant dans les yeux : ‘J’ai besoin que tu m’écoutes quand je te parle de cela’, et Monsieur, écoutez attentivement sans l’interrompre, puis répétez ce que vous avez entendu. » Cette mise en scène concrète permet de vivre la difficulté et d’expérimenter de nouvelles façons d’interagir, souvent plus efficaces que de simples discussions abstraites.

Le rôle du thérapeute familial gestaltiste : Un facilitateur actif

Le thérapeute agit comme un facilitateur et un catalyseur. Il est activement présent, non pas comme un expert qui donne des conseils, mais comme un observateur attentif qui met en lumière les processus. Son rôle est de :

Encourager la prise de risque et l’essai de nouveaux comportements.
Accueillir et valider l’expérience de chaque membre.
Observer les dynamiques non verbales, les interruptions de contact.
Focaliser l’attention sur l’ici et maintenant et sur la manière dont les problèmes se manifestent concrètement.
Proposer des expérimentations pour élargir la conscience et explorer de nouvelles possibilités.
Soutenir l’expression des émotions et des besoins.
Travailler avec la résistance comme une forme d’énergie créatrice.

Pour Qui est-elle Indiquée ? Une Approche Adaptée à de Multiples Défis

La thérapie familiale en Gestalt-thérapie est pertinente pour un large éventail de problématiques familiales, notamment :

Conflits récurrents et disputes incessantes.
Problèmes de communication, sentiment de ne pas être entendu ou compris.
Transitions familiales majeures (séparation des parents, deuil, arrivée d’un nouveau membre, adolescence, départ des enfants).
Symptômes chez un enfant ou un adolescent (anxiété, difficultés scolaires, troubles du comportement) qui impactent l’équilibre familial.
Difficultés relationnelles chroniques entre les membres.
Manque de connexion ou d’intimité au sein de la famille.
Schémas répétitifs et insatisfaisants qui bloquent l’évolution de la famille.

En somme, la thérapie familiale en Gestalt-thérapie n’est pas une simple « réparation » de dysfonctionnements, mais une invitation à la famille à devenir plus consciente d’elle-même, à améliorer la qualité de son contact, à développer sa capacité d’ajustement créateur et, finalement, à retrouver une vitalité et un équilibre plus satisfaisants pour tous ses membres. C’est un cheminement vers une plus grande authenticité et responsabilité au sein du système familial.